Signification et notification par voie postale d’actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale dans l’Union européenne avec application dans les relations franco-italiennes


Les significations et notifications d’actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale dans l’Union européenne sont régies par le règlement (CE) n° 1393/2007 du 13 novembre 2007, précisé en France par la circulaire 11-08 D 3 du 10/11/2008 de la Direction des Affaires Civiles et du Sceau (DACS) (I). La réglementation européenne est intégrée dans le droit français (II). Par un arrêt rendu le 8 janvier 2015, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à la question de savoir si un huissier de justice français pouvait signifier un acte extrajudiciaire de France en Irlande directement au destinataire par voie postale sans passer par l’intermédiaire de l’entité centrale ou requise de l’Etat membre de réception (III). Cependant, les transmissions par voie postale posent des difficultés au regard de l’article 19 du règlement (CE) n° 1397/2007 et de l’article 28-3 du règlement (UE) n° 1215/2012 entré en vigueur le 10/01/2015 (IV). Plutôt que de s’en remettre aux services postaux, les officiers ministériels (huissiers de justice et ufficiali giudiziari des bureaux uniques) pourraient privilégier, tant en France qu’en Italie, les notifications et significations sur place faites par  leurs propres services dans leur ressort de compétence (V).

I – Le règlement (CE) n° 1393/2007 du 13 novembre 2007

Le règlement (CE) n° 1393/2007 du 13 novembre 2007, entré en vigueur le 13 novembre 2008, a abrogé le règlement (CE) n° 1348/2000 du 29 mai 2000. Ce nouveau règlement innovait, notamment, par les délais imposés, par la fixation d’un coût forfaitaire de transmission des actes et par la faculté pour les Etats membres de signifier ou notifier directement par voie postale. L’efficacité des innovations apportées a dû paraître efficace puisque le réexamen du texte prévu au plus tard le 1er juin 2011 n’a pas eu lieu à ce jour (*).

Les modalités d’application du règlement (CE) n° 1393/2007 sont indiquées dans la circulaire de la DACS 11-08 D 3 du 10/11/2008 (qui actualise la circulaire CIV/20/05 du 01/02/2006) relative aux notifications internationales des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale (**).

Cette circulaire précise les entités d’origine, requises et centrales françaises habilitées à transmettre et à recevoir les actes directement par l’intermédiaire des services postaux.

A/ Définition des entités d’origine, requises et centrales

Les définitions se trouvent à l’article 2 du règlement (CE)  n°1393/2007 et aux points 5.4.2 et 6 de la circulaire de la DACS 11-08 D 3 du 10/11/2008.

– L’entité d’origine est celle compétente pour transmettre les actes judiciaires ou extrajudiciaires aux fins de signification ou de notification dans un autre Etat membre.

La France a désigné comme entité d’origine pour signifier les actes dans un autre Etat membre: les huissiers de justice (officiers ministériels libéraux) et les services des juridictions (greffes, secrétariats-greffes et secrétariats). Il en résulte que seules ces entités peuvent signifier ou notifier les actes judiciaires ou extrajudiciaires français dans un autre Etat membre.

Les huissiers de justice  signifient les actes judiciaires ou extrajudiciaires  français à un destinataire en Italie soit par l’intermédiaire de l’entité centrale italienne, soit par l’intermédiaire de l’entité requise italienne, soit directement par voie postale. En revanche, les greffes, secrétariats-greffes et secrétariats notifient, en principe, uniquement par voie postale. En cas de difficulté de notification, ils invitent le requérant à signifier par une autre voie (circulaire 11-08 D3 du 10/11/2008 art. 5. 5 et 5. 5-3 et art. 670-1 du code de procédure civile).

En Italie, les entités d’origine sont les ufficiali giudiziari. Ce sont des fonctionnaires, attachés à chaque juridiction italienne de manière exclusive. Ils peuvent notamment notifier les actes judiciaires directement par voie postale au destinataire se trouvant dans un autre Etat membre.

– L’entité requise est celle qui est chargée, par l’entité d’origine ou par l’entité centrale, de délivrer l’acte au destinataire.

La France a désigné les huissiers de justice comme entités requises pour recevoir les actes à signifier en provenance d’un autre Etat membre (auparavant, c’était la chambre nationale des huissiers de justice qui se chargeait de trouver l’huissier territorialement compétent). Ainsi, les huissiers français sont soit entité d’origine soit entité requise, selon le cas. Il en est de même pour les ufficiali giudiziari italiens.

– L’entité centrale est celle qui notamment recherche l’officier ministériel, le fonctionnaire ou toute autre personne compétente de l’Etat membre requis pour faire signifier ou notifier l’acte par l’entité requise compétente au destinataire.

En France, l’entité centrale est le Ministère de la Justice, direction des affaires civiles et du sceau, bureau de l’entraide civile et commerciale internationale.

En Italie, l’entité centrale est assurée par les ufficiali giudiziari, sis à 00192 Rome, viale Giulio Cesare, n° 52, qui sont un service spécial de fonctionnaires près la Cour d’appel de Rome. Contrairement aux autres ufficiali giudiziari, leur seule mission est la transmission des actes judiciaires en provenance d’un autre Etat membre aux entités requises italiennes, à savoir les ufficiali giudiziari constitués en bureaux uniques (uffici unici) auprès de chaque juridiction, territorialement compétents pour la notification au destinataire; et le retour des actes aux entités d’origine.

B/ Articles 14 et 15 du règlement (CE) n° 1393/2007 relatifs aux transmissions d’actes directement par l’intermédiaire des services postaux

– L’article 14 du Règlement énonce que “tout Etat membre a la faculté de procéder directement par l’intermédiaire des services postaux, par lettre recommandée avec accusé de réception ou envoi équivalent, à la signification ou à la notification des actes judiciaires aux personnes résidant dans un autre état membre.”

Cet article 14 est celui sur lequel se fondent les ufficiali giudiziari italiens et les huissiers de justice français pour notifier un acte judiciaire au destinataire domicilié dans un autre Etat membre.

– L’article 15 du Règlement confirme que “toute personne intéressée à une instance judiciaire peut faire procéder à la signification ou à la notification d’actes judiciaires  directement par les soins des officiers ministériels, fonctionnaires ou autres personnes compétentes de l’Etat membre requis, lorsqu’une telle signification ou signification directe est autorisée par la loi de cet Etat membre.”

C/ Précisions apportées par la circulaire de la DACS 11-08 D 3 du 10/11/2008

Cette circulaire indique au point 5.5 que la transmission des actes par l’intermédiaire des services postaux est une faculté ouverte à l’Etat membre d’origine, (à savoir un greffe, un secrétariat greffe ou un secrétariat de juridiction) tandis que la transmission directe par les officiers ministériels (essentiellement les huissiers de justice) est une faculté ouverte à toute personne intéressée à une instance judiciaire.

Le point 5.5 précité précise: “en France, conformément à l’article 684 du code de procédure civile, les autorités compétentes pour opérer une notification (le greffe, ou l’huissier de justice) ne peuvent recourir qu’aux modes les plus directs, soit au mode entre entités prévu par ce règlement, ou à la signification directe, et, en outre, pour les seuls greffes de juridictions, à la voie postale.”

Ainsi, les huissiers français disposent de la faculté de signifier soit par l’intermédiaire des entités centrales (voire requises, s’ils les connaissent), soit directement par voie postale. En revanche, les greffes ou les secrétariats greffe, n’ont pas ce choix et doivent avoir prioritairement recours à la notification directe postale, “sauf s’il ne s’agit pas du mode de transmission le plus efficace et le moins onéreux susceptible d’être mis en œuvre par lui” (cf.: art. 5. 5-3§3 de la circulaire précitée).

En Italie, ce sont les ufficiali giudiziari du tribunal concerné qui notifient les actes judiciaires italiens dans un autre Etat membre. Et ils ne le font que par voie postale.

Selon le point 5.5.3 de la même circulaire, “la faculté qu’avaient précédemment les Etats membres de subordonner la réception des actes par voie postale à certaines conditions (de forme ou de traduction) est abandonnée. Désormais, le document faisant l’objet d’une notification par voie postale est adressé à son destinataire, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par un autre envoi équivalent, accompagné du formulaire type multilingue prévu à l’annexe II du règlement (se reporter infra au § 5.6.)”

Cela étant, le destinataire peut toujours refuser l’acte dans la semaine de la présentation s’il n’est pas traduit (***) soit dans une langue comprise par lui, soit dans l’une des langues officielles de l’Etat membre requis (point 5.6.2 de la circulaire).

Le  point 5.5.3 de la circulaire indique que: “En cas d’échec de la notification postale, le greffe (français) doit inviter la partie à procéder par voie de signification et à recourir, pour ce faire, aux services d’un huissier de justice”.

II – Intégration de la réglementation européenne en droit français

Le droit français a intégré dans les règles particulières aux notifications internationales figurant aux articles 683 à 688-8 du code de procédure civile, le précédent règlement (CE)  n° 1348/2000 du 29 mai 2000, remplacé depuis par le règlement n° 1393/2007. Ces articles précisent que la transmission des actes judiciaires et extrajudiciaires doit être faite sous réserve de l’application des règlements communautaires.

L’article 651, préexistant, du code de procédure civile rappelle la différence, de pure forme, qu’il y a entre signification et notification en ces termes:

“Les actes sont portés à la connaissance des intéressés par la notification qui leur en est faite. La notification faite par acte d’huissier de justice est une signification. La notification peut toujours être faite par voie de signification alors même que la loi l’aurait prévue sous une autre forme.”

III – Arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 janvier 2015 (****)

Par un arrêt publié de la 2ème Chambre civile du 8 janvier 2015 dans un cas de signification d’acte extrajudiciaire de France en Irlande, entièrement transposable aux relations franco-italiennes, la Cour de cassation vient de répondre naturellement par l’affirmative à la double question de savoir qui peut signifier un acte extrajudiciaire (en l’espèce un commandement de payer valant saisie immobilière) de France vers l’Irlande et par quel moyen.

La réponse est lapidaire: “il résulte des textes, qui ne distinguent pas entre les notifications et les significations, que les huissiers de justice français peuvent procéder à la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires aux personnes résidant dans un Etat membre de l’Union européenne directement par l’intermédiaire des services postaux, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception”, et donc sans passer par l’entité centrale ou l’entité requise dudit Etat membre.

L’arrêt est d’autant plus intéressant qu’il a été rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui connaît des questions de procédure en général, et non pas par la première chambre civile qui traite les affaires de droit international privé.

Cet arrêt consacre la validité des significations des huissiers français par voie postale dans un autre Etat membre.

Il est à noter, cependant, que dans le cas d’espèce aucune contestation sur les conditions et la matérialité de la délivrance de l’acte n’avait été soulevée devant les juges du fond de sorte que la Cour de Cassation n’a pas eu à aborder ce point.

Sans avoir eu à rechercher si l’Irlande acceptait ou non les notifications et significations directes par voie postale, il n’a été posé ni la question du contenu effectif de l’enveloppe dans laquelle se trouvait l’acte notifié; ni celle de la qualité de la personne qui avait réceptionné et signé l’acte de signification litigieux; ni celle de la conformité de la signature du souscripteur ou du destinataire.

En tout état de cause, le cas jurisprudentiel précité ne devrait pas inciter à opter aveuglément pour la signification directe par voie postale car celle-ci peut être pavée d’embûches et de complications.

IV – Difficultés inhérentes aux transmissions et par voie postale au regard de l’article 19 du règlement (CE) n° 1397/2007 et de l’article  28-3 du règlement (UE) n° 1215/2012 entré en vigueur le 10/01/2015

Outre ce qui vient d’être  déjà  évoqué, les notifications et significations directes par les services postaux sont susceptibles de se heurter à des difficultés pratiques insurmontables.

Il s’agit, en particulier, de l’impossibilité pour les services postaux d’effectuer des recherches sur place pour tenter d’assurer la signification effective de l’acte et à défaut d’établir les raisons pour lesquelles la délivrance de l’acte au destinataire a été impossible (changement d’adresse, radiation d’entreprise, disparition, faillite etc.).
Or, en cas de défendeur non comparant, l’article 19 du règlement (CE)                     n° 1397/2007 du 13/11/2007 précité, rappelé par l’article 28-3 du règlement (UE)  n° 1215/2012 du 12/12/2012, entré en vigueur à compter du 10/01/2015 relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance des jugements et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ayant remplacé le règlement (UE) n° 44/2001 du 22/12/2000, impose des règles très précises au juge saisi.

Cet article qui n’est pas d’une lecture simple, impose au Juge de surseoir à statuer aussi longtemps qu’il n’est pas établi que l’acte: a été transmis selon un mode prescrit par la loi de l’Etat membre requis ou qu’il a été effectivement remis au défendeur ou à sa résidence selon un autre mode prévu par le Règlement; qu’il l’a été en temps utile pour que le défendeur ait pu se défendre; qu’en l’absence d’attestation constatant la remise de l’acte, un délai d’au moins six mois (à apprécier par le juge dans chaque cas particulier) s’est écoulé depuis la date d’envoi de l’acte; et qu’aucune attestation n’a pu être obtenue nonobstant toutes les démarches effectuées auprès des autorités ou entités compétentes de l’Etat membre requis.

Ces exigences sont intégrées à l’article 688 susvisé du code de procédure civile.

En l’état, les services postaux français et italiens, pour ne citer qu’eux, ne sont habilités qu’à remettre les actes au destinataire ou à domicile et à les retourner ensuite à l’expéditeur avec, le cas échéant, des mentions telles que “n’habite pas à l’adresse indiquée”, “non retiré”, ou “inconnu a l’adresse indiquée”. Les services postaux ne sont pas chargés d’effectuer de démarches auprès des autorités ou entités compétentes de l’Etat membre requis aux fins de rechercher les causes objectives de non remise de l’acte, telles que changement d’adresse, radiation, faillite éventuelle du destinataire etc.

V – Plutôt que de s’en remettre aux services postaux, les officiers ministériels français et italiens pourraient privilégier, tant en France qu’en Italie, les notifications et significations sur place faites par  leurs propres services dans leur ressort de compétence

Il est acquis que les significations postales peuvent poser problème. Or, tant en France qu’en Italie les services postaux n’ont pas pour mission d’effectuer des recherches, au contraire des officiers ministériels.

Les huissiers de justice et les ufficiali giudiziari constitués en uffici unici (bureaux uniques) auprès de chaque tribunal et de chaque cour d’appel (à ne pas confondre avec ceux rattachés à la Cour d’appel de Rome qui ont la fonction d’entité centrale), disposent de moyens de recherches qui font défaut aux services postaux. Pourquoi se passer de leurs facultés d’investigation et s’exposer aux aléas des notifications postales ?
En effet, en cas d’échec de la notification par voie postale, l’acte judiciaire ou extrajudiciaire n’est pas délivré et l’entité concernée ne peut qu’inviter à notifier par une autre voie.

C’est la raison pour laquelle les huissiers français (entité d’origine) préfèrent s’adresser aux ufficiali giudiziari de Rome (entité centrale) qui transmettent l’acte judiciaire à notifier à l’ufficiale giudiziario territorialement compétent (entité requise) pour la signification au destinataire italien, sans s’en remettre aux services postaux italiens.

Les ufficiali giudiziari constitués en uffici unici auprès de chaque juridiction italienne devraient pouvoir en faire de même pour les significations d’Italie vers la France, au lieu de signifier les actes judiciaires directement par voie postale, comme les greffes et secrétariat greffe français.

Par ailleurs, pourquoi les huissiers de justice français ne procéderaient-ils pas pareillement pour les actes extrajudiciaires, en passant, non pas par l’entité centrale italienne sise à Rome chargée uniquement de la transmission des actes judiciaires, mais par les bureaux uniques des ufficiali giudiziari territorialement compétents constitués auprès de chaque juridiction italienne, si ces derniers l’acceptent ? En s’informant, le cas échéant,  auprès d’un avocat franco italien pour se faire indiquer le bureau unique compétent ?

C’est ce que n’a pas fait (mais le pouvait-il ?) l’huissier français qui a signifié son acte extrajudiciaire en Irlande, par bonheur sans que n’ait été formulée aucune contestation sur les conditions de réception.

Tout laisse à penser que la voie la plus sûre reste celle qui passe par les services d’un officier ministériel local (entité requise) dont la structure d’exercice est par nature mieux organisée pour recueillir les informations nécessaires à la délivrance d’un acte à signifier.

Les transmissions directes de la part des entités d’origine par voie postale comportent des aléas que seules les transmissions par l’intermédiaire des entités centrales et requises sont susceptibles de pallier.

Jean-François Sampieri-Marceau
Avocat au barreau de Paris

25 mai 2015
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(*) Les significations d’actes judiciaires et extrajudiciaires européens D. 2006. Chron. 1009.
(**) Circulaire de la DACS 11-08 D 3 du 10/11/2008 publiée le 28/02/2009 – Justice 2009/1, texte
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(***) Notre point de vue sur les traductions d’actes D. 2005. 236.
(****) Cass. civ. 2ème, 8 janvier 2015, pourvoi n°13-26224, publié au bulletin